mardi 11 septembre 2012

La tristesse de l'été

Nonalf : Tu dors ?
Moi : Non, trop chaud.
Nonalf : Il reste de la bière ?
Moi : Non, trop chaud.

Le ralentissement de la voiture m'indique que nous avons quitté l'autoroute.
La chaleur de la nuit est incompréhensible, même capote baissé, impossible pour mon compère conducteur et moi même de trouver de l'air frais.

Nonalf : Tu commences à me les briser avec ta dépression issue de la défloration de ton casaniérisme.
Moi : C'est un mot ça ?
Nonalf : Tu m'as compris, alors maintenant fais moi le plaisir de te taire jusqu’à ce que arrivions au mhotel.

A peine 5 minutes se sont écoulées depuis le voeu de silence qui m'a été intimé, que nous arrivons sur le parking... d'un mhotel donc. Il s'agit d'un bâtiment long, qui semble bien pourvu en chambres, coiffé de chaume.

Moi : Pourquoi on s'arrête ?
Nonalf : On va faire d'une pierre deux couilles pour que tu arrêtes de me les briser.
Moi : Je te préviens je fais chambre à part.
Nonalf : Ftaghn ! Lorsque tu n'as pas assez dormi, tu es de mauvaise humeur et lorsque tu es de mauvaise humeur tu es la plus désagréable des compagnies.
Moi : Et tu vas faire quoi ? m'échanger contre la septième ?
Nonalf : Non, tu vas aller dans une chambre climatisée, avec une bouteille de Gin et tu vas dormir jusqu'à ce que tu sois redevenu normal.
Moi : La normalité n'est qu'un point de vue.

Nonalf ouvre le coffre, puis une valise qu'il vient d'en sortir.
Nonalf : Fais toi propre ! nous avons besoin de chambres, pas que l'on nous lâche les chiens.

Mon camarade enfile alors une chemise étonnamment blanche, à col Mao, ce qui lui donne l'allure d'un missionnaire du sexe sur le point de débuter une croisade en terre croate.
Pas le temps d'objecter, mon camarade me jette les clés de notre bolide et file vers l'entrée de l'établissement.
Je m'assois contre le pare-choc, et entreprend de me rouler une cigarette.
La température n'a toujours pas baissé malgré l'averse orageuse que nous avons essuyé à l'épisode précédent (à lire ici). Je la fais quand même monter en allumant mon cylindre de papier.

Je regarde les étoiles. Le sentiment d'être tout seul se retrouve doublé par celui de n'être rien au beau milieu de l'univers. Si un concept intelligent joue au billard avec les planètes, la numéro 8 pourrait m'arriver en pleine gueule là, de suite, que ça m'en déplacerait à peine une au fond du calcif.

Sur cette pensée poétique, je décide quand même de troquer mon t-shirt boba-fett-entrer-laccusé contre une chemise noire et une veste de la même couleur.
Le long du parcours vers l'entrée, j'observe les voitures stationnées.
Alors que je m'attendais à voir des monospace familiaux, ce sont en majorité des voitures de petites cylindrées qui peuplent le parking.

Alors que j'arrive au comptoir de l'accueil, je me rends compte en jetant un oeil par une porte attenant que la salle de restaurant est très animée cette nuit. Une dame blonde d'un fort beau gabarit passe la tête par un rideau derrière le comptoir.
"Kessessé ?" me crache l'opulente.
"Bonsoir madame", attaque-je, "mon compagnon de voyage et moi même souhaiterions des chambres s'il vous en reste".
"Ha ouais nono à ta clé. T'occupe de rien, y'a tout ce qui faut dans la piaule. Je suis trop occupé à nettoyer les cochonneries de cet enterrement de vie de jeune fille. Sers toi et je viendrai te faire chier avec la note quand j'aurai le temps."

Plusieurs informations s'entrecroisent alors dans mon esprit.
1- Nonalf à la clé de ma chambre. Premier gros danger. Pas la peine que je vous fasse un dessin.
2- Enterrement de vie de. Deuxième danger : Se retrouver au milieu d'un groupe d'êtres humains fortement alcoolisés.
3- Jeune fille. Foutredieu... pourvu que mon comparse ne décide pas de transformer en terrine aux cèpes la première qui lui dira qu'elle kiffe trop la dubstep.

Je passe alors dans la salle, ou plutôt le champ de bataille, qui accueille la soirée.
J'avise mon comparse en train de discuter avec trois jeunes femmes à une table toute proche.
Je décide d'éviter d'aller au feu tout de suite et choisit une place derrière la ligne de repli au comptoir du bar. Même pas le temps de claquer des doigts que le camarade barman me pose sous le nez un gin-coca-glace-rondelledecitron-parasolenpapier.
Mon comparse a briefé le barman. Ce qui veut dire que non seulement il a déjà prit ses marques, mais qu'en plus on va s'en tirer avec une douloureuse qui ferait lever un sourcil à Donald Trump himself.

Alors que je commence à siroter mon breuvage anglais, je comprends qu'un karaoké vient de se lancer de l'autre côté de la salle. Le destin semble cruel cette nuit...
Alors que mon compère de voyage entame "Eyes of the tiger", et là sans prévenir, sans faire de bruit, sans même l'ombre d'un avis de tempête IMPOSSIBLE FACT HAPPENING : Une jeune femme vient s'asseoir à côté de moi.

Plus grande que la moyenne; talon haut rouge laqué; blue-jean levi's classic; chemisier blanc semi-transparent; haut de maillot de bain "stars and stripes" en guise de soutien gorge; cheveux longs en dessous des épaules couleur auburn; yeux verts; dents trop blanche.
IMPOSSIBLE FACT NUMBER TWO : Elle me regarde.
IMPOSSIBLE FACT NUMBER THREE : "Bonsoir, est ce que vous auriez du feu s'il vous plait ?"

ça, c'est moi qui vient de le dire.

Bordel qu'est ce qui vient de se passer ? Rien que cinq secondes et je viens déjà d'adresser une phrase, polie certes, à cette personne que je ne connais ni d'eve (puisque c'est une femme) et qui est totalement hors contexte, puis que je n'ai pas le matériel pour faire cette demande, que j'amorce une phase de picolage à haute altitude, que je veux rester tranquille, et que la perspective de me coller une balle dans le crane avec mon flingue est plutôt pas mal pour laver dans le sang l'incongruité de ce que je viens de dire.

Alors un petit message perso pour mes amies anti-oreilles de mickey, le ridicule ne tue pas. Mais maintenant je sais qu'il donne envie.

Elle : Vous venez de me piquer ma réplique.
Moi : Pastèque
Elle : Non merci, j'ai déjà eu de la salade de fruit.
Moi : Non confuse appellation glouglou
Elle : Je vous demande pardon ?

Je vide en un trait mon récipient d'alcool. Parasol en papier non inclus pour les besoins de ma propre survie.

Elle : Est ce que vous venez d'avaler une demie rondelle de citron sans mâcher ?
Moi : Je disais donc : "excusez moi, vous pouvez m'appeler Pastèque car cela est mon nom, mais laissez moi finir mon verre."
Elle : Daccord. Vous pouvez m'appeler Elizabeth.

Ho merde, si elle est consentante, je ne sais pas comment je vais m'en sortir...

Moi : Vous êtes avec le groupe de la future mariée ?
Elizabeth : Oui, mais ça ne va pas durer.
Moi : Vous partez ?
Elizabeth : Non, je parle du mariage, votre copain est déjà en train d'embrasser la "future mariée" dans le cou...
Moi : Elle devait avoir un morceau de salade de fruit dans le col.
Elizabeth : Mais certainement pas dans la culotte, pourtant votre ami y a déjà la main.
Moi : ... Il ne laisse rien au hasard ...

En l’occurrence, le "hasard" est déjà allongé sur une table en train de subir un examen corporel minutieux de la part de mon compère.

Moi : Il aime son métier...
Elizabeth : Je vois ça... et vous ?
Moi : Quoi ?
Elizabeth : Vous aimez votre métier ?
Moi : Ça dépend des jours... et de la tâche.
Elizabeth : Vous faite quel job ?
Mon Fort intérieur : Ne réponds pas : "tueur à gages lettré casanier"
Moi : Tueur à gages musicologue international.
Mon Faible intérieur : Connard.

Ce coup-ci, je claque des doigts pour faire apparaître un nouveau verre de gin, que je vide à peu près aussi vite que le premier.

Elizabeth : Pas étonnant qu'avec un boulot comme ça vous ayez l'air aussi triste.
Moi : J'ai ?
Elizabeth : Oui, vous avez l'air triste. Vous êtes obsédé par la mort, vous vous habillez en noir, alors excusez moi, mais quelqu'un doit vous le dire : ça se voit que vous n'allez pas bien.
Moi : Nan mais c'était pour déconner, la personne que je tue le plus c'est moi dans mes rêves.
Elizabeth : Ça ne change rien à ce que je viens de vous dire.

Je sors mon briquet pour qu'elle puisse satisfaire son besoin de cancer.
J'en profite pour entretenir le mien.
Claquement de doigt. Plein refait au niveau du Gin. Parasol neuf rose à pois vert en prime.

Elizabeth : Et vous êtes triste comme ça depuis longtemps ?
Moi : J'ai arrêté de compter les années après la première.
Elizabeth : Et que vous êtes tout seul ?
Moi : J'ai arrêté de compter les années après la première.
Elizabeth : Et que vous avez pas baisé ?
Moi : J'ai arrêté de compter après... Attendez, quoi ?

Elle me regarde, elle sourit. Sa cigarette a moitié consommée se retrouve alors noyée dans mon verre.
Elle me prend dans ses bras. Je sens le sel de la mer dans son cou.

Elizabeth : Le sel n'a pas d'odeur.
Moi : Ha ?
Elizabeth : C'est ce que j'ai toujours pensé.
Moi : Ha ?
Elizabeth : Comme j'ai toujours pensé que la vie n'est qu'un mauvais moment à passer.
Moi : Le sel a une odeur.
Elizabeth : Nous sommes pareil toi et moi. Nous n'arrivons pas à vivre dans ce monde. On a beau essayer d'admirer la beauté de ce que la société essaye de nous offrir, tout ce que nous arrivons à voir est le blanc de la toile sous les couches de peinture.
Moi : Ou le blanc de l'assiette sous les frites salées.
Elizabeth : Ils essayent de nous nourrir avec leur production musicale, cinématographique artistique... Mais toi et moi on ne voit que le néant de la toile. Ils déversent "ça", leur soi disante culture, comme ils feraient vomir de la gouache de tubes de peintures pour qu'on continue à regarder un tableau aussi vide que toi et moi.
Moi : Les frites c'est pas bon quand y'a trop de sel.
Elizabeth : C'est ça qui fait vraiment chier. On continue à avaler tout ça pour survivre, mais ça nous rend de plus en plus triste... parceque nous savons que ça ne sert à rien.
Moi : Mon record personnel  c'est deux assiettes complètes de frites au buffet de la gare.
Elizabeth : Tu m'écoutes ou tu as faim ?
Moi : J'aime bien les frites.
Elizabeth : Embrasse moi.

Ma tête se retrouve entre ses mains. Mes yeux dans les siens. Son nez contre le mien. Son souffle contre ma bouche... La main de Nonalf sur son épaule.

Nonalf : Toutes mes confuses, mais si je puis me faire mettre, je pense que vous allez avoir besoin de la clé de la chambre de monsieur.
Moi : Va te faire mettre.
Future mariée : C'est mon rôle !
Elizabeth : Parfait.
Nonalf : Tout le plaisir est pour moi.
Future mariée : Patience...

Elle se lève, moi aussi.
M'embrasse sans prévenir, moi aussi.
Je mets le parasol rose à pois vert entre son oreille et ses cheveux.
Elle me prend par une main, la clé de ma chambre dans l'autre.

Porte. Nouveau baiser. Long. Profond. Je dévérouille la porte pendant qu'elle déboutonne ma chemise.
Lit. Elle dessus moi dessous.
Pas de clim. Moi tout nu, elle... en dessous.

Elizabeth : Attends... il faut qu'on se protège.
Moi : Ou veux tu trouver un armurier ouvert à cette heure ci ?



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